Gitoyen «se transforme»

Quelques remarques et commentaires sur l'article paru sur le site de Gitoyen pour annoncer (quelque peu prématurément) sa transformation.

Sur l'auteur

Il faut peut-être commencer par dire que l'article parle à la première personne du pluriel, sur le site officiel de Gitoyen, ce qui tend à faire croire qu'il parle en son nom (celui du GIE, ou celui de l'association d'ailleurs, on ne sait pas très bien et l'amalgme est pratique).

Donc on ne sait pas bien qui parle, au nom de qui, avec quelle légitimité.

Sur les blocages

La situation administrative est effectivement bloquée et nécessite la dissolution de la structure juridique du GIE, ce qui est indéniablement une occasion pour réfléchir à faire autrement, ou faire mieux. Sur le plan technique, ça roule à peu près même si je ne partage pas les points de vue de « une plus grande stabilité des services et d’une plus grande facilité d’intégration des nouveaux venus » toutes choses étant égales par ailleurs.

Pas de modifications depuis...

Ensuite l'article dit : « Il n’y a pas eu d’autres modifications majeures de la plate-forme depuis cette date, par manque de temps des bénévoles et aussi souvent par manque de consensus sur les actions à réaliser. » 

C'est assez faux parce que si la plate-forme n'a pas évolué depuis cette date c'est essentiellement parce que il n'y en a pas eu besoin : elle était (et est) grosso modo fonctionnelle et c'est bien ce qu'on lui demande ; la stabilité étant l'objectif majeur du backbone. En l'absence de volonté de développement du réseau de Gitoyen, l'architecture n'avait pas besoin d'évoluer.

L'autre raison est que très peu de personnes on continué à s'en occuper (les trois personnes qui l'avaient mis en place se sont éloignées jusqu'à sortir pour ainsi dire toutes du GIE), et que ses mises à jour étaient très difficiles pour tous les autres (c'est une des raisons qui m'avaient conduit à beaucoup freiner sur ce projet-là aussi). Ainsi des correctifs essentiels ont-ils pris des mois à être mis en place (le système était beaucoup moins standard qu'avant).

Ce qui est important ici, c'est que on est beaucoup plus coincés sur la mise à jour de la plate-forme que sur son développement, qui lui n'était ni utile, ni souhaité. Le problème n'est pas qu'une quelconque volonté d'évolution ait été bloquée.

Le plus petit dénominateur commun

L'auteur voulait certainement dire le plus grand dénominateur commun. Ce qui ne faisait déjà pas beaucoup. Cela a été un gage de stabilité, et de sécurité pour les membres effectivement.

Ça a aussi été un frein au développement qui a fait manquer à Gitoyen une grosse moitié de son objectif social, celle qui lui demandait aussi d'agir comme un plus petit commun multiple. Toutes les tentatives en ce sens ont été sabotées. Mais il ne faut pas jeter la pierre aux statuts ni à l'objectif social, qui lui, demandait bien au GIE je cite

« d'être un fournisseur [..] à l'usage de ses membres dans le cadre de leurs activités économiques ou associatives, tant nationales qu'internationales, ainsi que de prendre toutes mesures et avoir toutes activités permettant de réaliser cet objet et ce afin de fournir une offre alternative dans un but non marchand et un cadre principalement citoyen, associatif et social. »

Si la seconde partie de l'objet social a été négligée voire piétinée pendant 10 ans, ce n'est pas une question statutaire, et il convient de chercher les véritables raisons dans le comportement des participants. Je ne parle pas des velléïtés nationales (et encore moins internationales) d'un opérateur prostré dans une unique salle machine parisienne.

Typiquement, si le Pouix, monté en 2001 par Stéphane Bortzmeyer puis étendu sur 4 sites différents par moi-même, et qui devait en 2006 devenir une infrastructure indépendante est aujourd'hui mort, la raison doit être recherchée ailleurs.

Il ne faut donc pas s'imaginer que les raisons de l'inaction de Gitoyen sont statutaires. Et par voie de conséquence que le changement radical de statuts résoudra cet immobilisme. C'est pourtant ce qui est mis en avant aujourd'hui pour justifier des choix et légitimer une équipe, est c'est inquiétant.

Encore un faux problème

« Depuis dix ans aucune solution fiable n’a été trouvée pour que le GIE puisse payer ses fournisseurs à l’heure. Ce mode de fonctionnement et les problèmes associés signifient aussi que le GIE n’est pas capable d’investir dans du matériel sans un décalage de plusieurs mois ».

Voilà un bel exemple de mauvaise lecture de la situation. Parce que un mécanisme d'avance de trésorerie permet depuis bien des années d'absorber ce décalage (celui qui est annoncé comme novateur plus bas dans l'article est à ce titre fort surprenant), je ne sais pas s'il faut être plus inquiet de ce que l'auteur l'ignore ou de ce qu'il fait mine de l'ignorer.

Pour avoir été trésorier de Gitoyen pendant deux ans, et avoir vu mes prédécesseurs hurler des majuscules sur les listes du GIE pour réclamer le paiement des factures, je *sais* que le problème de trésorerie tient à ce que des membres du GIE ont toujours payé leurs factures avec des mois, et même des trimestres de retard.

Seule solution viable à ce souci, le prélèvement des montants dûs, solution adoptée (bien que pas encore mise en place à cause d'un problème d'agence bancaire) par le GIE.

Là encore, pointer un faux problème ne permet pas d'identifier la véritable source des soucis, qui se trouve une fois encore non pas liée au modèle de facturation, mais au comportement de certains adhérents de la structure.

Conclusion logique

« Pour certains cet immobilisme est lié aux personnes qui l’animent, nous pensons au contraire que ce problème est structurel et qu’une transformation globale des modes de fonctionnement de Gitoyen permettra de le désengourdir et d’en faire une structure plus souple et qui correspondra mieux aux besoins de ses membres »

Nous avons ici la traduction assez fidèle des contre-sens évoqués ci-dessus.

Nouveaux besoins

« Nous avons recensé les différentes activités de Gitoyen et avons démarré la constitution d’un catalogue de service associé un modèle économique qui nous a permis de confirmer que la structure était viable financièrement et qu’il était possible de proposer ses services à des prix acceptables »

Autrement dit il est possible, dans la gamme des activités de Gitoyen, de monter une structure commerciale viable avec un catalogue et des prix acceptables. Certainement, personne n'en doute.

Du point de vue du modeste membre du bureau de FDN que je suis, la questions était plutôt de savoir comment Gitoyen allait enfin commencer à travailler dans la direction donnée par la seconde partie de ses objectifs. Mais ceux-ci ont été très vilainement remodelés.

Rabattons-nous sur le sujet proposé : il est possible de monter une telle offre. Dans l'absolu, c'est certain, même si le marché est extrêmement compétitif. Est-ce accessible pour Gitoyen, sans infrastructure réseau, sans capacité d'hébergement, sur un site particulièrement cher, et sans expérience dans ce domaine, avec ses engagements actuels, et j'ose le dire sans pilote ? Ce sera très difficile.

Y'a-t-il un pilote...

Je dis « sans pilote » pour illustrer ma crainte. Parmis les fondateurs j'observe que les cerveaux qui construisent une sous-partie de business plan n'auront pas le temps de participer demain. Que le président n'a pas d'expérience d'entrepreneur ou de gérant. Que le reste de l'équipe ne s'est pas illustrée par le pérennité de son engagement par le passé . Tout cela n'est pas rassurant, et quelques partis pris très optimistes dans la feuille de calcul finissent de le rendre inquiétant.

Alors faut-il lancer FDN, non pas du tout dans la rassurante continuité que le bureau aurait souhaité mais dans cette aventure ? La question se pose.

Les nouveaux besoins annoncés en titre ne sont pas dans l'article. Le moteur des « besoins » n'existe pas, ces deux paragraphe ne faisant que surfer sur l'élan des précédents, et donc sur des analyses fausses.

L'activité de LIR

L'activité de LIR est un amuse-bouche sympathique mais complètement anecdotique (c'est un budget annuel de 2500 € annuels HT environ) la manière de répartir ce coût n'a pas d'importance réelle.

Le fait d'insinuer qu'un opérateur IP puisse librement proposer des services de LIR tout en conservant ces deux services complètement indépendants démontre, par contre, soit une volonté de tromper les gens, soit une méconnaissance considérable du sujet. Il y a donc là un pur effet d'annonce, ou bien un mensonge.

Nouveaux membres

« nous n’avons pu, essentiellement pour des raisons administratives, intégrer de nouveaux membres depuis plusieurs années »

La raison du rejet de l'essentiel des (peu nombreuses) candidatures d'opérateurs nouveaux dans Gitoyen n'a jamais été le formalisme du GIE. C'est la règle de l'équilibre dans la proportion entre les membre qui, d'une part avec un profil « non lucratif » et d'autre part celles qui avaient un statut commercial.

Une autre raison pour le faible nombre d'entrée était la barrière assez haute des contributions requises pour participer aux frais de la plate-forme, et éventuellement d'un « droit d'entrée » (participation aux investissements), à cela venant s'ajouter la nécessité de faire une avance de trésorerie (pour le fonds de roulement qui augmentait logiquement).

Ces « raisons administratives » sont donc un nouveau prétexte.

Il est certain que l'adhésion à une association est beaucoup plus facile, bien évidement, et on ne peut que se féliciter d'un tel avantage toutes choses restant égales par ailleurs.

Cette simplification de paperasse gomme-t-elle les besoins de fonds de roulement, la participation aux investissements, les frais récurrents de fonctionnement ? Aucunement.

Par contre le gommage des proportions entre adhérents commerciaux ou non change la donne pour les nouvelles entrées . Et l'apparition de « clients » qui ne participeront pas aux frais d'infrastructure change la donne de la répartition des coûts, et facilitera leur entrée. Mais c'est là un changement de destination de Gitoyen très différent de ce qui est annoncé.

Et surtout dans une section intitulée « nouveaux membres », ce sont surtout des clients qui font leur entrée.

La solidarité malmenée

« l’abandon de la forme juridique GIE supprime la responsabilité illimitée des membres pour toutes les dettes contractées, ce qui allégera le poids de la décision d’adhésion »

Il faut ici encore ligne entre les lignes. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. La perte de la solidarité statutaire entre les membres qui est annoncée ici fait l'objet de rafistolages dans le règlement intérieur. Pourquoi déplacer ce lien fondamental et sécurisant dans ce document annexe, tout en assurant qu'il est aussi important que les statuts, mais en clamant l'inverse sur le site ?

Ce genre d'incohérence n'est pas pour rassurer, en définitive, qui croire, alors qu'on travaille encore sur des documents temporaires et peu accessibles, qui nécessiteraient eux-même beaucoup de corrections pour être cohérents.

La formation, vue de l'esprit

« Le rôle de formation de Gitoyen a évidemment vocation à continuer et permettra aux structures qui en auront besoin de se détacher de Gitoyen et d’opérer leur propre réseau »

Continuer ou plutôt démarrer, ou bien il faudrait parler d'auto-formation. Cette dimension de l'activité est cruciale pour beaucoup, mais les statuts n'en font pas mention. Et le règlement intérieur y invite. Les bénéficiaires sont tantôt les membres (dans le règlement), tantôt les clients (dans les contrats). Enfin et surtout personne n'est obligé à rien. C'est donc encore un très bel effet d'annonce, mais qui peine à se retrouver dans les textes : Gitoyen ne se donne pas les moyens ni les outils de ses effets de manche.

On a déjà vécu ça il y a dix ans, cela ne devrait-il pas nous apprendre à nous méfier des vaines promesses ?

Bien, disons qu'il ne se passe rien, et que ce ne sera pas pire. Dans ce cas il n'y a aucune urgence à aller dans cette direction car elle ne dessert pas les besoins de FDN et de ses partenaires.

Un statut pour les bénévoles

C'est encore soit un contre-sens, soit une annonce politicienne. Le fait que les gens ne puissent pas être bénévoles directement de la structure Gitoyen n'a jamais empêché qu'ils agissent et s'impliquent. La mise en place au pas de charge des nanoBSD en témoigne, les travaux que j'ai pu faire, la création du Pouix, etc.

Stigmatiser la non adhésion directe est donc une erreur, une erreur sur l'analyse du fonctionnement de Gitoyen. Le mécanisme de déduction de la solution à apporter est donc faussé, la correction n'est pas la bonne.

Ce qu'il manque vraiment

Remplacer un GIE un peu rigide (et surtout là, il est cassé) par une association c'est une bonne idée.

Ficher en l'autre les garanties de solidarité qu'apportait le GIE, c'est dangereux. Ce sont des mécanismes protecteurs et stabilisateurs qu'il faut préserver parce qu'il n'empêchent pas Gitoyen de desservir ses objectifs. C'est encore plus nécessaire dans un cadre associatif que dans un GIE parce que dans le premier la solidarité n'est pas une base légal par défaut comme elle l'est dans le second.

Fixer en parallèle, par la définition statutaire de ce qu'est un adhérent (fonction de son statut social) et de ce que seront ses droits et se devoirs au seins de Gitoyen, ce qui sera équitable pour les adhérents entre eux, manque cruellement dès lors que des bénévoles pourront entrer directement (ce qui est parfaitement possible, pourquoi pas).

Et surtout, conserver à Gitoyen sa vocation sociale, sa dynamique et sa représentation non lucrative, ses objectifs de soutien au développement de petits opérateurs (seul celui-là figure dans l'objet actuellement) et de formation en en faisant des buts de l'association, et en écrivant comment ces buts seront poursuivis et comment les adhérents y participeront.

Le volet commercial, vente à des tiers est une option. Elle sort du cadre solidaire, et sort du champ habituel associatif, et mérite des règles particulières, mais aussi un énoncé clair de qui seront les bénéficiaires prioritaires des services de l'association car nous sommes désormais dans un domaine commercial et non plus seulement entre adhérents. Les sources de conflits (d'intérêts, entre autre) vont jaillir.

Bien évidement dans ce contexte les contrats doivent être faits en conséquence, avec des produits vendables, des services qui bénéficient d'une obligation de moyens, et le tout selon un business plan réaliste sur les ressources à disposition et le positionnement adopté.

Mais c'est surtout, depuis l'optique FDN et FFDN une construction qui part des objectifs et de la définition de l'adhérent, basée sur une analyse réaliste des erreurs passées et des besoins que j'attendais.