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geopsoc:plus-rien-ne-m-etonne

Plus rien ne m'étonne

  • mise en ligne le 20 janvier 2025

Réf : Tiken Jah Fakoly (de son vrai nom Doumbia Moussa Fakoly), album du même nom, sorti en 2004 chez Universal Music.

https://www.paroles.net/tiken-jah-fakoly/paroles-plus-rien-ne-m-etonne

Comme promis à une amie chère, j'ai relu les paroles de cette déplorable complainte après qu'elle m'ait enjoint d'y entendre une critique générale de la volonté belliqueuse des hommes à travers le monde, et non pas comme je le pensais une plainte africaine, mal fondée et exclusivement dirigée contre les colonisateurs européens. J'ai pourtant trouvé peu de raisons de changer d'avis.

La première partie du texte cite plusieurs pays en asie occidentale, afrique et moyen-orient, mais de quel « partage du monde » parle donc M. Fakoly ? Qui se serait donc entendu avec qui pour attribuer la Tchétchénie, l'Arménie, Haïti et Bangui ? Quelles conférences et à quelles dates ont-elles donné lieu à de telles tractations, mystère. Ou bien s'il faut remonter aux calendes grecques, quel est le pays dont le territoire n'a jamais été dans l'histoire l'objet de convoitise, de conquète et de tractations ? Autrement dit, de quoi et de qui parle-t-on dans ce « ils » ? Pour l'Irak et le Kurdistan, l'accord Sykes-Picot de 1916 a effectivement donné lieu à un partage d'une partie du moyen-orient, mais pourquoi ces pays sont-ils mis sur le même plan que les autres dans ce fourre-tout qu'est le premier couplet ? Des pays géographiquement assez proches d'ailleurs, tandis que le reste du monde ne semble pas intéresser l'auteur : tout le reste de l'asie ainsi que les continents américain et australien sont oubliés, témoignant d'une indignation à géométrie variable et plutôt ramassée sur seulement quelques fuseaux horaires et de basses latitudes. Les coupables du partage du monde qui sont ciblés peuvent donc être déduits de la liste restreinte de leurs victimes, et ce sont bien des occidentaux, voire même des européens, certains européens. Mais partager « le monde » semble être plus utile à un refrain facile, que le reflet d'une réalité et les premiers paragraphes s'avèrent tellement sommaires et approximatifs qu'ils ne servent manifestement qu'à affirmer la culpabilité universelle de ces européens. Le véritable objet de la chanson est gardé en réserve et ne sera abordé, avec un peu plus de détail (si on peut dire), que dans le dernier couplet. Voyons ça.

« Ils ont partagé Africa sans nous consulter » est sans doute possible une référence à la conférence de Berlin de 1884. Ce focus confirme que c'est bien l'afrique (et non le monde) qui intéresse M. Fakoly et sur ce point on peut lui donner raison en ce qui concerne le « partage. » Mais comme l'acusation se fait un peu plus précise on peut aussi noter que les empires (sic) cités ; Mandingues, Wolofs, Soussou, Mossi, sont tous des royaumes conquérants qui ne se sont pas privés d'accaparer des territoires sans « consulter » leurs occupants. Un autre colonialisme, somme toute. Alors, que reproche-t-on alors aux occidentaux : peut-être simplement d'avoir été plus forts ? Là encore, indignation sélective, puisque les colonisateurs ne dérangeaient pas M. Fakoly quand c'étaient des africains qui opprimaient d'autres africains ? Ou bien le tort de « ils » est-il de ne pas être « nous » mais sans autre précision pour éviter de formuler des propos trop ouvertement ethnicistes voire racistes ? N'oublions pas que tandis que les européens du XIXème siècle croyaient (bêtement) avoir affaire à, et même avoir un devoir envers des « races inférieures » qu'ils colonisaient, ces royaumes africains étaient eux dans une logique différente puisqu'ils savaient parfaitement que c'étaient des semblables qu'ils massacraient ou réduisaient en esclavage, et ce à leur service et souvent même pour en faire la traite à destination orientale ou atlantique. L'histoire est cruelle M. Fakoly, car c'est la colonisation (réglée par le partage de 1884) qui bien souvent a seule permis de mettre un terme à ces pratiques esclavagistes intra-africaines. Voilà qui ne sert pas un propos qui passe fort commodément les exactions de ses ancètres sous silence.

Finalement le véritable grief que l'auteur fait aux européens est peut-être d'avoir sabordé le business de la traite dont ses ancêtres malinkés profitaient, mais curieusement ça n'est pas très explicite dans le texte. Évidement l'emploi d'un « ils » accusateur est une paresse bien pratique pour accuser lâchement sans s'exposer à trop de contradiction de la part des intéressés, ou à un procès en incitation à la haine (par exemple.) Sans m'étendre sur la lénifiante pauvreté du texte ou sa déplorable syntaxe (Monsieur Fakoly est pourtant fait Chevalier de l'ordre de l'art et des lettres en 2004 et Officier en 2014) je ne trouve pas grand-chose à sauver dans cette chanson, qui me semble surtout être l'exploitation fallacieuse d'une histoire tronquée et du malheur de certains, au moyen d'une victimisation (qui séduira donc quantité de bien-pensants) abusive, partiale, simpliste et insincère ; tout ça dans une optique commerciale.

geopsoc/plus-rien-ne-m-etonne.txt · Dernière modification : 2025/01/24 23:43 de lulu