Copwatch, censure : faux débat

Il faut peut-être défricher un peu le sujet Copwatch, suite à la condamnation dont il a fait… non, dont les gros FAI commerciaux français ont fait l'objet en fin de compte (et rien que ceux-là), et visant à l'effacer de la toile. Par ce que j'ai lu beaucoup de sites, y compris réputés sérieux, qui utilisent le terme de « censure » pour un problème qui s'en éloigne beaucoup.

Je ne veux pas dire que certains ne seraient pas ravis de voir de site disparaitre par la censure, à cause de son message de fond (et malgré que bien sur ça ne marcherait pas, si on ne leur a pas dit mille fois c'est qu'on ne leur a jamais dit). Non, je veux dire que le jugement qui a été rendu et d'ailleurs, notamment, parce que ça a été jugé, n'est pas un acte de censure.

L'anonymat

On le sait, depuis la LCEN, ou tout du moins depuis son décret d'application fort tardif, l'auteur (pour ne pas dire l'éditeur) d'un site Web est supposé mettre à disposition sur son site un certain nombre de renseignements, aufin que les personnes responsables des contenus qui y sont publiés soient joignables.

C'est quelque chose qui existe dans tous les journaux, puisque sur la première page juste après la couverture (ou sur la dernière, juste avant) en général, on trouve systématiquement les coordonnées de l'éditeur. Et dans les bouquins, la maison d'édition, l'imprimeur. Le principe est simple : la liberté d'expression existe, mais pour que chacun assume la responsabilité de ses propos, on doit pouvoir le contacter, éventuellement pour lui demander qui, une dédicace, qui, un droit de réponse, qui, un dédommagement.

C'est un peu donnant donnant : on ne peut pas tout à fait dire n'importe quoi, et du coup il n'est pas étonnant que les articles de loi qui traitent de l'injure et de la diffamation soient, en France, des morceaux de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Ca semble équilibré, et conforme à l'idée que la liberté (d'expression) des uns s'arrête là où commence celle des autres (répondre, se défendre, etc.)

Du coup, en ne publiant pas sur leur site les informations requises, les autres de copwatch ont placé d'emblée leur site en mauvaise posture vis-à-vis de la loi, voire de l'équité. Ca pose aussi, éthiquement parlant, le problème de l'éthique du site, et de son positionnement quelque part entre l'acte de résistance clandestin, le lanceur d'alerte, et batman

Mais c'était aussi s'interdire d'être convoqués. Et donc se mettre en situation de ne pas pouvoir défendre leur cas, de bénéficier d'un traitement équitable, d'un procès contradictoire. Peut-être un peu facile de crier au loup, ensuite.

Se défendre, mais sur quoi ?

La condamnation

Je l'ai dit, on n'était pas, du fait d'absence d'accusé devant le tribunal, dans une situation où la justice aurait pu trancher en toute connaissance de cause sur le fond du véritable problème qui intéresse tout le monde : a-t-on le droit de surveiller les forces de l'ordre ?

Mais en réalité, il n'était pas question de ça. Car le ministre n'a pas eu besoin d'aller au fond, le fond qui nous intéresse tous. Car si vous lisez impatiemment le jugement qui a été rendu en sautant les défenses des FAI auxquelles ont s'intéressera ailleurs (hop, le « fond » du référé ça commence en page 9), le tribunal ordonne le blocage du site pour un motif tout autre que d'avoir surveillé et filmé les flics.

Les motifs, ce sont l'injure, la diffamation. Autrement dit des problèmes d'expression et de respect, je dirais presque de forme. Et la divulgation d'informations personnelles. Qui est un problème de fond. A-t-on le droit de surveiller la police et peut-on dénoncer ses agissements ? Le sujet n'a pas été abordé un seul instant.

C'est un peu dommage finalement, pour un site qui se veut protecteur du public, que de se faire laminer pour avoir porté atteinte à la dignité (sans jugement, ni droit de réponse) et à certains droits fondamentaux des personnes. D'ailleurs la couleur est clairement affichée, sur le site de copwatch je cite : «nous n'avons que faire de leur vie privée», alors effectivement, au tribunal l'avocat de la défense aurait été bien enmerdé.

Copwatch a donc été visé, et bloqué, pour ça, et seulement pour ça. Du coup, s'ils resteront probablement sympathiques à beaucoup de défenseurs assertifs des libertés individuelles, peut-être ceux-ci devraient-ils marquer leur distance par rapport aux méthodes du site.

Des miroirs

Dans le climat actuel de mise en danger permanente des libertés individuelles par des lois stupides (comme la récente obligation d'espionner sa famille), et après la retentissante affaire Wikileaks, il en faut peu pour que l'indignation se répande à chaque décision judiciaire, sur le (de plus en plus) vaste parterre de sites et de blogs qui effleurent ou traitent ces sujets.

Or, autant dans le cas de Wikileaks, on était dans la situation où une autruche de la politique, pour faire plaisir à un gouvernement ami (celui des Etats-Unis), et sans même saisir la justice, avait décidé de faire taire une rédaction, pour le fond de ce qu'elle publiait. Donc bafouait littéralement la liberté d'expression. Il s'agissait donc bien de censure et la réponse qui des mouvements citoyens y ont apporté en réalisant des miroirs relevaient d'une résistance contre une oppression, donc d'un droit constitutionnel (voir l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, reprise dans la constitution de 1958).

Autant dans le cas Copwatch, on a une décision de justice rendue pour faire cesser un trouble aux droits fondamentaux (en particulier celui du respect de la vie privée, défendu par le même article de la DDHC et par l'article 9 du code civil notamment) de certaines personnes (fussent-elles membres des forces de l'ordre) et ne visant aucunement à faire taire les auteurs sur le message de fond qui est le leur. On n'est pas du tout dans le même schéma.

Un acte de résistance citoyenne comme il en a eu un pour Wikileaks, serait donc complètement à côté de la plaque s'agissant de Copwatch : il n'y a pas de censure dans cette affaire parce qu'il n'y a pas d'interdiction sur le fond du message, et parce qu'il n'y a pas d'arbitraire.

Que faire ?

J'en vois qui se sont mis à faire des miroirs. A quoi bon ? Le fond de l'action de copwatch n'étant pas en cause, le blocage de ce site est-il davantage un problème que le blocage de sites de jeux en ligne ? Il semble que, juridiquement et techniquement, non.

Alors que faire ? Si j'étais un membre de Copwatch, je me demanderais si ma tendance irrépressible à insulter des flics et ma propension à exhiber la tendance facho-éthylique de certains individus doit réellement prendre le pas sur le fond de mon discours, et mener à ce qu'il devienne inaccessible pour 95% du public auquel il est destiné. Et si un peu de professionnalisme dans le traitement de l'information et sa présentation, ne le rendraient pas à la fois plus recevable par le public, plus crédible, et surtout plus pérenne.

Dans ce cas toujours hypothétique, je ferais donc probablement le choix de remonter un site très similaire, sous un nom juste assez différent pour que le blocage de l'ancien site n'ait pas d'effet dessus, et des choix éditoriaux à peine différents. Eviterais de mettre du noir partout (ça fait très ado et/ou anarcho), tâcherais d'oublier tout ce qui n'est pas solidement fondé (notamment les insultes et allusions historiques), ou juridiquement répréhensible, évoquerais prudement ce qui a trait à la déficience mentale, à la dépendance aux toxiques à la compensation d'un complexe d'infériorité chez les individus ciblés, déclarerais pourquoi pas mon fichier à la CNIL, remplacerais les noms par des codes qui indiquent clairement aux intéressés qu'ils sont immatriculés, connus, répertoriés, et que le jour viendra où ils devront rendre des comptes : #14, je te vois.

Car alors pour faire taire le site, il faudrait bien plus que des prétextes sur la forme.

Dénoncer

Dénoncer c'est alerter, rompre, ou signifier. Il n'y a pas de connotation négative comme dans la délation (qui a un caractère honteux, et éventuellement lâche). Et j'ai bien vu que la dénonciation nominative était un acte volontaire et affiché sur Copwatch. Alors, Copwatch est-il privé de la possibilité de dénoncer ?

C'est effectivement le point de fond qui semble poser problème. Je dis «semble» parce que copwatch a été bloqué aussi pour ça. Mais pour autant, la dénonciation peut avoir lieu, et là encore c'est une question de manière.

Des juristes feront certainement un exposé plus valable que moi là-dessus, mais je vais quand même évoquer la nécessité pour dénoncer, donc accuser, d'avoir des preuves. Documents et témoignages à l'appui, copwatch semble ne pas manquer d'éléments, or l'article 427 du Code de Procédure Pénale dispose que la preuve est libre, c'est à dire qu'elle peut être apportée par tous moyens, et que le juge apprécie ensuite en forgeant sa conviction sur ce qui lui est présenté (à charge et à décharge bien entendu).

Il y a donc des moyens de dénoncer, et surtout de faire juger, ce qui se substitue avantageusement à diffamer et condamner sans procès, y compris dans l'esprit du public. Dénoncer est possible, à condition de le faire correctement, voire consciencieusement. Finalement, ça semble encore être une question de méthode, et toujours pas une question de fond. Et tout ceci est donc à la portée des éditeurs anonymes de Copwatch, la balle est dans leur camp.