Sur le droit à l'oubli

publié le jeudi 10 décembre 2009, en commentaire à un billet de B. Bayart sur le blog de FDN.


Le vil nain ternet

Des impasses. Certaines qui ont été faites, et d'autres dans lesquelles on s'est engouffrées.

Frédéric Lefebvre qui brandissait de l'anonymat, et Emmanuel Hoog qui parlait d'absence de droit ont bien essayé de faire passer internet pour un lieu de non droit. Puis Jacques Séguéla de nous tirer les larmes avec les gamines de 13 ans qui se mettent une balle. Pire, cette allusion à la force obscure, maligne et vicieuse, que Séguéla a soutenu abondamment : il existerait une force d'internet qui pousserait les ados au suicide. Très vilaine bête, frémissez braves gens.

Benjamin a tout de même rappelé, mais avant que les précédentes allusions soient développées, que le droit règle la plupart des cas qui semblent poser problème à ces Messieurs. Le droit à l'image, à la vie privée (confidentialité et propriété privée) et tout ce qui tourne autour de ça et même plus largement dans le code pénal, je pense notamment à la diffamation.

On a passé là-dessus l'essentiel de l'émission. Faut reconnaitre, ces gens savent causer dans le poste et pour nous faire frémir ils s'il connaissent. Passons au fond.

Oublier, comment, jusqu'à quand

Et puis zut. Hadopi pour le droit d'auteurs soit-disant. Inapplicable, ridicule. Le droit à l'oubli maintenant, est-ce que c'est faisable ?

Benjamin l'a souligné, le droit à l'oubli sur internet ne veut rien dire en définitive puisque la copie existe il n'est pas possible d'effacer ou de retirer une information qui a été publiée. Vous trouvez une photo de Brigitte Lahaie sur le net, elle vous plait, vous l'imprimez sur du papier, un CDROM ou votre disque dur, et jamais elle ne pourra faire oublier à qui que ce soit qu'elle a été l'actrice principal de Joy et Joan.

Tiens, “Joy et Joan”, vite fait, 8,7 millions de résultats. 1985. Qui a dit que internet c'était 10 ou 15 ans ? Benjamin a dit 40, bon, je fais pas une recherche sur 1969, ce serait tricher. Mais Brigitte tu sais, pour Miss France, c'est foutu.

Et puis oublier quoi encore

Il y a des manières de présenter les choses. On parle souvent de retirer des choses (des informations, des droits, des libertés) pour protéger les gens. Sur le bon vieux précepte qui veut que la liberté des uns s'arrête là ou commence celle des autres.

Mais on ne parle pas ici de libertés qu'il s'agit de défendre. On parle de nouveaux droits. Le corolaire de ce qui précède s'énonce ainsi : si mes droits privés avancent sur la chose publique, ceux du public reculent.

N'oublions donc pas que si je retire des informations qui ont été publiées a posteriori c'est retirer au public ces informations, pourquoi, parce qu'elles me gênent, pourquoi encore, parce que j'estime avoir suffisamment été puni de mes erreurs passées, parce que je veux corriger mon erreur, parce que je considère qu'elles pourraient m'être nuisibles, parce que je préfère changer d'avis aux yeux de l'histoire ; ça devient délicat. Parce que je voudrais y substituer une autre vérité ; épineux.

Se pose la question de quoi oublier, et pourquoi. Le législateur international n'a pas fini de s'arracher les cheveux ne serait-ce que pour en fixer le cadre et en régler les implications potentielles.

Sucrer c'est tromper

Enfin, au-delà de l'objet sa simple disparition, n'oublions pas son contexte. Car retirer des informations qui ont été publiées a posteriori c'est retirer d'autres informations publiques de leur contexte historique réel, donc créer des erreurs, des confusions, des contre-vérités. Littéralement, retirer des informations écrites situées dans le domaine public, c'est falsifier l'histoire. Voire la réécrire, en quelque sorte par omission.

Instaurer comme un droit la possibilité de réviser l'histoire me semble donc quelque chose d'assez curieux, qui pourrait donner lieu à des interprétations erronées. Par exemple retirez des archives l'opinion idiote exprimée par A, et la réponse de B qui dit que les opinions de A sont imbéciles prend tout de suite un tournant différent. S'il n'a pas de chance, B pourrait même se retrouver en faute tout simplement parce que le contexte a été réécrit.

Il faudrait donc, par exemple, que si l'oubli devint possible, il ne le soit pas totalement. Un oubli de surface en quelque sorte, comme un verni pour que les apparences soient plus vivables pour certains. Si faute mal effacée ne devient qu'à moitié pardonnée, on va voir des juges sucrer les fraises.