Les autruches de la politique

initialement publié le mercredi 08 décembre 2010 sur le blog de FDN, parmi les commentaires à l'annonce de la création d'un miroir de wikileaks par FDN.


On a vu ces derniers jours nombre de politiques réagir à ce que certains nomment déjà la plus grosse fuite «depuis que Noé s'est construit une arche». Les politiques s'opposent à la divulgation des baveries diplomatiques, c'est sans surprise. Mais les internautes ont l'air d'un autre avis. Les premiers semblent donc tenir les seconds pour un ramassis de crétins irresponsable et immatures, qui gavés de tf1 veulent du spectacle à tout prix, préfèrant systématiquement le lanceur d'alerte au législateur, le héros pourchassé partout que le gendarme, le martyr au juge auto-proclamé ?

Nous prendre pour des buses

On a lu de meilleurs billet de Laure de la Raudière, que celui du 5 décembre où elle fait mine de se demander : «S’il est légitime que des Etats conservent des informations confidentielles.» Et de répondre «Pour moi, bien évidemment la réponse est : oui. C’est nécessaire afin d’assurer la sécurité de l’Etat et de nos concitoyens. L’attitude contraire relève de l’angélisme» avance-t-elle.

Enfoncer des portes ouvertes, c'est prendre le risque de se casser la gueule. Surtout sur ces sujets, et quand on appartient à la majorité actuelle. Voyons, quel Citoyen à peu près normalement cortiqué dira que la confidentialité n'est pas, parfois, requise, utile, qu'il se moque qu'on respecte sa vie privée, se contrefout de la confidentialité de ses données personnelles (même si trop souvent il laisse filer à tort et à travers), que l'obligation de surveillance instaurée par la récente L336-1 du Code de la propriété intellectuelle ne constitue pas, au mieux, une violation de la liberté de surfer tranquille de sa belle mère et au pire, une entrave manifeste à sa propre liberté d'aller et venir sans éplucher jour et nuit des milliards de petits paquets ? Oui, la confidentialité est parfois indispensable, tout le monde le sait. Enfin, les internautes le savent.

Mais voilà, des diplomates américains qui espionnent les mots de passe de leurs invités ou récupèrent sur eux informations biométriques et médicales autant que faire se peut ne sont pas, en réalité, tout à fait sur le même plan que les citoyens dont votre parti madame, échoue à protéger les libertés fondamentales.

Faire la politique de l'autruche

En effet ce dont personne ne semble vouloir prendre conscience dans les sphères ministérielles stratosphériques, c'est que les gouvernements sont au service des citoyens, et que s'ils doivent veiller au respect de la vie privée des gens (ou plus largement de leurs libertés, ce qu'ils négligent copieusement de faire en France ces derniers temps), on n'a pas bien la notion de ce que sont les libertés fondamentales des états en dehors de leurs peuples, ni la liste des petites garanties que peuvent s'octroyer et se reconnaitre les états entre eux, dans le dos des citoyens du monde. Parce que quand on parle d'internet, on parle bien des citoyens du monde entier.

Or la farouche volonté de réprimer les agissements illégaux de certains (reste à prouver que ce soit le cas pour Wikileaks) ne justifie pas que soit mise en péril la liberté de tout le monde, même si c'est dans les rangs de la majorité devenu une dérive classique, ainsi que par exemple dans les amalgames de la députée Chantal Brunel.

N'importe, par leurs déclarations tonitruantes, bien des politiques se sont rués tête baissés dans la chausse-trappe la plus béante que leur ait tendu leur crasse ignorance de la réalité du monde numérique, quand bien même ils se croient autorisés à écrire dessus. Sabre au point et criant taïaut, M. Besson qui a immédiatement résumé la liberté de ses citoyens à ce qu'il lui semblait être le devoir du gouvernement envers un état étranger. Et de s'interroger, non pas sur le droit, sur la légitimité à faire taire, ni sur le sol américain ni sur le sol français ; mais uniquement sur les moyens de museler. Bref, réprimer, réfléchir ensuite (ou pas, d'ailleurs…) séparation des pouvoirs ; connais pas, c'est pourtant un impératif de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Comme le soulignent pourtant de rares éveillés comme Ron Paul cité et traduit par Jean-Noël Lafargue «Dans une société libre, nous sommes censés connaître la vérité. Dans une société où la vérité devient une trahison, nous avons un gros problème». Cherchez l'erreur dans les propos récents de François Baroin, porte-parole du gouvernement : «Moi j'ai toujours pensé qu'une société transparente, c'était une société totalitaire». Y'en a un qui n'a rien compris à ce qui est en train de se passer, devinez lequel.

Voler dans les plumes

Non M. Besson, Internet n'est pas une ardoise magique. Vous n'avez pas assez bien écouté ceux qui depuis plusieurs années déjà tentent de vous expliquer ce qu'est le réseau des réseaux. Et en tout premier lieu Benjamin Bayart, le président de FDN : pour la première fois depuis la Déclaration des Droit de l'Homme, Internet fait de la liberté d'opinion et de la liberté d'expression des personnes une réalité alors que ce n'était auparavant qu'une déclaration d'intention. Et de grand changements dans la société vont s'en suivre, c'est inévitable, c'est logique.

Non, Internet ne se résume pas à ce que M. le sinistre veut en voir depuis son ministère : l'économie numérique. Chacun peut déjà commencer à prendre la mesure des bouleversements qui frapperont l'ensemble de la classe politique. Car les déferlantes imparables qui ont déjà cueilli l'industrie des copistes de DVD, ne feront pas de cadeau à ceux qui continuent à construire des châteaux de sable sur leurs petits bancs alors que la mer arrive. C'est la tasse assurée.

Wikileaks c'est juste le manche de rateau suivant. Une vague parmi les autres, qui construisent inexorablement la société de demain. Dans cette révolution il n'y a de force que tranquille, mais la nature ne fait pas de cadeau à ceux qui tentent de lui faire barrage. Wikileaks n'aura pas eu besoin de la moindre violence pour obtenir ni disséminer ses informations (ce qui n'est pas le cas de ceux qui essaient de le faire taire). Les dommages colatéraux annoncés par les politiques semblent devoir se compter en vies humaines, mais il serait hasardeux de faire déjà les bilans sans compter, par exemple, le nombre de vie que les mensonges du Département de la défense américain n'auraient pas compromises s'ils avaient été étales sur la place publique en temps et en heure.

Si l'on s'en tient aux fait, la vérité a fait pour le moment beaucoup moins de morts que les manipulations et le secret. Et si l'on considère que le ridicule des politiques ne les tuera pas, on n'a de morts à mettre au débit de Wikileaks que des citoyens qui le sont d'effroi à la lecture des ignominies proférées par leurs gouvernants. Car quand un oiseau politique de mauvaise augure entend faire taire sans avoir préalablement saisi la justice, c'est de la censure.

On peut rajouter quelques internautes défenseurs de la liberté d'expression qui sont, eux, morts de rire. Car à cette censure Internet a réagi et si la communauté a su, en seulement 4 jours, monter plus de 1000 miroirs c'est qu'elle a ressenti, elle, que ces contenus valaient d'être défendus et qu'on ne prive pas une personne de sa liberté d'expression sans qu'elle ait eu le droit à un avocat.

Une réalité que le Conseil Constitutionnel a déjà mise en travers du bec gouvernemental, par la décision 2009-580 du Conseil Constitutionnel qui dans son douzième considérant fait appel à l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen pour porter internet au rang de liberté fondamentale. Retour en couveuse pour Hadopi.

De même que les ricains ont appris qu'on pouvait se faire choper à hacher gratuitement des civils et des journalistes à la mitrailleuse lourde, la classe politique internationale apprendra que les citoyens du monde se passeront désormais de son consentement pour jouir de leurs libertés, pour voir ce qu'elle trifouille en leur nom, pour mettre leur nez dans ses négociations secrètes, accords internationaux et autres ACTAlopperies de bassecour.