Respect de la vie privée

Pleins d'entrain dans ce nouvel espace de vie qu'est le monde numérique, où beaucoup reste à faire notamment pour établir les droits et les devoirs, de chacun, nous donnons de notre temps dans des associations qui promeuvent la promotion d'internet, la neutralité des intermédiaires techniques, ou encore le respect de la vie privée.

Mais ces concepts qui ne sont pas forcément bien maîtrisés, peut-être parce qu'ils sont en constante évolution, ou simplement faute d'avoir été correctement compris et définis par ceux qui les manipulent. Sont-ils réellement bien défendus par ces bataillons amateurs, voilà une question qui se pose.

Par exemple. La fameuse expression « neutralité du net » connait depuis quelques temps un certain désamour du fait de son inadéquation à traduire sans ambiguïté toute la signification qu'on s'aperçoit nécessaire de lui donner : le réseau neutre, tout seul, ça ne suffit plus, toutes les intermédiaires doivent l'être.

Autre exemple, l'injure et la diffamation sont quasiment monnaies courantes, comme j'en ai fait récemment la très désagréable expérience sur des listes publiques, et fréquentées par des gens qui se disent instruits et défendeurs de la vie privée, justement. C'est un problème puisque à la fois elle démontre une maitrîse limitée du sujet, mais aussi décrédibilise le message. J'y reviendrai à la fin de cet article.

Balayer devant sa porte

Moi le premier, n'étant ni expert ni avocat, je ne prétends pas avoir une pleine connaissance de ces sujets et je me propose donc ici de creuser un peu le sujet, avec ma modeste binette de profane et sans prétendre à l'exhaustivité, les professionnels ne me le pardonneront sous doute pas mais qu'importe.

Aujourd'hui je m'intéresse au respect de la vie privée. C'est un principe de droit fondamental que les informaticiens associatifs n'ont pas inventé, ce qui pourrait commencer par lui conférer une certaine stabilité. Son inscription dans les textes de référence de notre droit sont là pour nous rassurer à ce sujet. Hum, quoique…

Déclaration des Droits de l'Homme, 1789

Voyons voir, le plus évident semble d'aller chercher dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, grand classique.

article 2: « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »

C'est tout ? Pas très clair pour ce qui est de la vie privée. On se doute bien qu'il faut aller l'extrapoler dans les termes de « sûreté » et de « résistance à l'oppression » mais tout de même, les limites sont un peu floue, on préfèrerait quelque chose de plus explicite.

La Constitution de 1958

Cherchons encore… La Constitution de 1958, dans son préambule, inclut par référence « la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. » Mais dans le corps du texte, rien. Zut, encore raté.

La déclaration Universelle de 1948

Dans ce cas, allons explorer les fondements du droit international, puisque somme toute ces concepts ne sont pas typiquement français. Que dit la déclaration universelle des droits de l'homme des nations unies ?

Article 12 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

Enfin ! Adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris… Mais, mais, ce texte n'a pas de portée juridique, seulement une valeur déclarative.

Le Pacte International de 1966

Il faut encore gratter un peu pour découvrir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations unies.

« Article 17. 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

Ouf.

Au fait, la France l'a ratifié ? Oui, elle ne s'est pas pressée puisqu'elle a attendu le 4 novembre 1980.

Mais dites-moi, ça fleure bon les bonnes intentions ce texte, pourtant qu'est-ce qui dit que ça sera appliqué, et par qui ? Heureusement, on n'a pas besoin d'aller chercher trop loin cette fois-ci, c'est prévu dans le même texte :

« Article 2.
1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
2. Les États parties au présent Pacte s'engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l'adoption de telles mesures d'ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.
3. Les États parties au présent Pacte s'engagent à :
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles;
b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'État statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et à développer les possibilités de recours juridictionnel;
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié. »

Tout de même.

Le Code Civil, en 1970

Enfin peut-être pour rendre la chose plus accessible, le législateur a trouvé bon, dès le 17 juillet 1970 (s'il vous plaît) de mentionner le droit au respect de la vie privée en termes explicites, dans l'article 9 du code civil :

« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »

Le Conseil Constitutionnel...

Pour parfaire le faisceau, on peut noter que Selon wikipedia Le conseil constitutionnel considère que le droit à la vie privée découle de la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »

Nouvelle parenthèse : En matière juridique les traités internationaux se situent sur le même plan que la constitution, c'est-à-dire au-dessus des lois (et donc, du code civil). C'est ce qui permet, quand on est face à la justice, de soulever une question préalable de constitutionnalité, afin de faire éventuellement invalider une loi qui ne serait pas conforme aux textes supérieurs. Un petit tour de magie qui pourrait un de ces jours coûter cher à la Hadopi (avec son obligation de surveillance) ou à la LCEN qui instaure la préservation de données bien au-delà de ce que la cour de justice a récemment estimé raisonnable.

Fin de la parenthèse, nous sommes tout à fait rassurés sur l'assise du droit au respect de la vie privée dans notre droit. Allons un peu plus en profondeur dans ce qu'il implique.

Vie privée VS. respect ?

Dans l'article 9 reproduit juste au-dessus, on voit bien que la notion d'intimité est particulièrement explicitée : on n'a pas le droit d'aller voir chez vous, de fouiller dans vos affaires, d'écouter vos conversations ou de lire vos courriers. Ce volet là est clair pour tout le monde.

La nouveauté du net

De même que jusqu'à l'avènement d'Internet, et donc tant que la démocratisation de l'expression publique n'était qu'un vœu pieux dans les libertés fondamentales reconnues (pas universellement non plus, faut pas pousser), les textes de nos lois traitaient nos concitoyens comme des possibles victimes des puissants. C'est à dire dire en somme, de ceux qui étaient jusque-là les seuls capables de leur porter atteinte, ce qu'ils feraient par intrusion, et éventuellement par publication.

Car tant que la liberté d'expression n'était pas une réalité, pour porter atteinte à la vie privée de quelqu'un il fallait essentiellement aller la chercher là où elle était pour l'extirper et, soit l'exhiber, soit l'utiliser pour d'autres fins que le simple scandale. C'était donc le cas le plus évident, reconnu et donc développé dans cet article : la protection de la vie privée dans sa confidentialité.

Le respect de la personne

L'aspect qui est quelque peu négligé dans cet article, mais bel et bien compris dans le terme de « respect » de la vie privée, c'est celui du respect de la personne elle-même.

Cette partie là est bien plus explicite dans l'article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ou l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Et heureusement, elle n'est pas ignorée des tribunaux qui comprennent bien, dans le « respect de la vie privée » cette nécessité de protéger l'image (voire l'honneur et la dignité) des personnes.

Aujourd'hui que la parole est libre et facile grâce à Internet, et que tout un chacun peut, dès lors qu'il dispose d'une connexion, s'exprimer sur tous sujets sans subir, fort heureusement, la censure, ce texte prend tout son sens. Car les débats et les disputes en ligne sont devenues monnaie courante, et l'on peut désormais s'invectiver facilement et peut-être souvent prendre conscience de la portée des propos que l'on tient, pour l'autre comme pour soi.

La liberté a ses limites

Vous aimez les parenthèses ? Allons. Nul n'est sensé ignorer la loi, certes, mais tout de même il faut faire plusieurs années d'études post baccalauréat pour commencer à en saisir quelques subtilités : c'est un métier. Pourtant si nos fournisseurs d'accès à internet faisaient leur métiers, il donneraient à leurs abonnés quand ils leur vendent un accès le manuel de base de l'utilisateur et du savoir-vivre sur le net. Votre marchand de machine à laver vous livre bien un manuel avec, non ? Et il est même tenu de le produire en langue française. L'accès internet en effet comprend certes des droits mais aussi des obligations. Autrefois résumées dans quelques textes de référence qui formaient la « nétiquette », ces outils sont malheureusement ignorés de la plupart des internautes qui croient, en général à tort, être anonymes et débarquer sur Internet dans un nouveau monde où tout est permis, où les anciennes règles sont abolies, une véritable anarchie. Ils se trompent.

Mais revenons à notre sujet, nous parlions des abus qui sont faits de la liberté de s'exprimer à tort et à travers au détriment de son voisin.

La liberté de la presse

Dans notre droit français, les moyens répressifs à cet égard sont assez bien cachés. Il faut aller les débusquer dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Comme je le disais précédemment, on n'avait pas tellement d'autre moyens jadis pour déblatérer sur autrui, que de le faire par voie de presse, avec du vrai papier. Mais aujourd'hui le fait d'écrire un billet, un article de blog, ou n'importe quel tweet, c'est bel et bien publier, c'est à dire écrire en public (l'étendue du public restant à préciser), voire même faire publicité de son propos.

Et là ça se corse, parce que chère lectrice, cher lecteur, autant votre liberté d'opinion est un droit fondamental, autant la loi prévoit bien que la liberté des uns s'arrête là où comme celle des autres, et là on met le pieds dans le droit au respect de la vie privée… des autres ! Dans les textes ci-dessus, c'est le principe que la liberté d'expression est de mise « sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

C'est donc le texte qui instaurait en 1887 la liberté de la presse, qui par la même occasion en fixait les limites, à savoir ce qu'on appelle les « délits de presse ».

Les délits de presse

Parmi ceux-ci, pour rester dans le cadre de cet article, j'ignorerai la provocation, qui est l'incitation à faire des grosses bêtises. Les deux autres nous intéressent beaucoup plus ici, il s'agit de l'injure et de la diffamation.

Coupons court aux discussions sur les termes plus ou moins synonymes : l'insulte n'est considérée que comme une forme légère d'injure et à opposé, l'outrage par contre une forme aggravée car faite à l'encontre d'une personne investie de l'autorité publique (comme un contrôleur de la SNCF par exemple, faites gaffe quand vous parlez à ces gens-là il faut tenir sa langue).

La calomnie elle, n'existe, que je sache, pas dans la loi française, son cas est réglé par la diffamation.

Injure et diffamation

Qu'est-ce qui différencie la diffamation de l'injure ? C'est l'imputation d'un fait. Quésaco ? L'imputation d'un fait signifie que l'on attribue à la personne visée d'avoir été l'auteur de quelque chose. Par exemple traiter une personne de connard fini, c'est lui faire injure, mais cela ne consiste pas à l'incriminer de quelque chose d'autre que… d'être un connard. Ce qui en soi ne veut rien dire, c'est un pur jugement de valeur. Traitez-la d'assassin et vous aurez gagné en politesse, mais aussi et surtout insiné que cette personne est l'auteur d'un crime.

Or on ne peut pas se défendre d'une pure injure, pas plus que celui qui injurie ne peut prouver la véracité de son injure (quand bien même elle pourrait sembler réaliste). Ce qui ouvre la voie à une répression systématique : faites vous assigner pour injure, si il est démontré qu'elle a eu lieu, vous êtes cuit : il n'y a pas de voie de défense.

Vérité ou bonne foi

En matière de diffamation seules deux voies de défense existe : l'exception de vérité. Le terme « exception » s'explique bien car la seule possibilité est de fournir une preuve « des faits diffamatoires [qui] doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations tant dans leur matérialité que dans leur portée et dans leur signification diffamatoire » ce qui laisse peut de place à l'erreur et à l'hésitation puisque le délai pour produire cette preuve est de dix jours. L'autre voie est la « bonne foi journalistique » encore plus difficile à établir puisque nécessitant à la fois « la légitimité du but poursuivi, l'absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que la qualité de l'enquête » ; réservée aux professionnels donc.

Trois mois pour agir

Attention cependant si vous êtes victime d'injure ou de diffamation vous n'avez que trois mois pour agir, et il ne faut pas lésiner. Signaler une telle atteinte au procureur de la république au moyen d'une simple plainte vous assure à peu près à coup sur un classement de votre dossier, soit parce qu'il n'aura pas jugé opportun d'engager les poursuites à votre place, soit parce que le temps de traitement vous aura fait dépasser les trois mois. Donc si c'est sérieux pour vous, ne traînez pas, faites constater par huissier, et déposez une plainte sérieuse, si possible via un avocat qui assignera rapidement, faisant ainsi cesser le délai de prescription.

Pourquoi attaquer en diffamation

Eh oui, pourquoi ? Eh bien maintenant je vais vous parler de mon cas, par exemple.

J'ai très récemment été poussé à m'intéresser encore plus que je ne l'avais fait par le passé, à la question. Déjà confronté à des désaccords qui avaient laissé voler quelques noms d'oiseaux, ou accusations calomnieuses, je m'étais en effet déjà plongé dans ces sujets. Toutefois leur caractère privé et lamentable m'avaient dissuadé de donner suite.

Il y a quelques semaines pourtant, j'ai de nouveau été confronté à la diffamation, mais cette fois-ci dans un contexte très différent, en bien des points. D'une part, parce que cela s'est fait de manière publique. D'autre part, parce les accusations ont porté sur ma déontologie en tant que professionnel, ce laisse difficilement le choix de réagir ou non, car qui ne dit mot consent. Oui je sais, ce genre de vieux principe doit être pris avec des pincettes et pourtant, avec le temps, si on n'a pas fait le nécessaire il est bien difficile d'établir ensuite le vrai et le faux. L'actualité juridique récente nous rappelle que le droit à l'oubli n'existe pas, ce n'est donc à titre non pas de réparation que j'envisage de donner suite, puisque la réparation d'une diffamation est presque impossible (le fameux exemple de l'oreiller de plume crevé en pleine rue), mais plutôt pour établir le fait, et avoir ensuite une référence, c'est-à-dire avoir fait condamner.

Mais il y a une autre raison, moins commune sans doute, mais qui donne à l'affaire tout son sel : le fait que la diffamation ait été faite par des personnes qui elles-mêmes se prétendent être des défenseurs de la vie privée. Ce qui signifie en quelque sorte, faites ce que je dis mais pas de que je fais. Un autre volet du problème réside donc dans la perte de de cohérence et de crédibilité pour toute une communauté, et même pour la personne morale qui les rassemble. Pire, lorsque l'erreur a été commise par des représentants et au nom même de cette personne morale. C'est là que, sur un plan non plus personnel mais militant, je pense nécessaire que l'erreur soit identifiée, pointée, nommée, reconnue, dénoncée et enfin que les leçons en soient tirées. Pour l'association ou le groupe, c'est vider l'abcès, retrouver sa crédibilité. Processus douloureux mais, je le crains, nécessaire. Et comme d'elle-même la personne morale ne peut pas forcément se retourner contre elle-même, il faut bien que quelqu'un le fasse, et ce ne peut être en l'espèce, que la victime, qui la mette devant ses propres responsabilités, et l'oblige à se positionner.

Constats d'huissier, avocat… Je ne connais pas d'autre moyen de faire ça. Certes cela peut sembler procédurier ou excessif, « oh tout ça pour quelques petits mots de travers. » Et puis ça coute un peu cher aussi. Mais en réalité la procédure ne me fait pas peur, et surtout je vois pas de meilleur moyen d'obtenir la justice que de la solliciter et lui demander de trancher, du moins quand le mal a déjà été fait et ça hélas, qu'y puis-je ?