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Immigration et délinquance

La question d'un possible lien entre immigration et délinquance est un débat un peu viscéral, les uns affirmant son existance malgré la difficulté à fournir des statistiques précises et en confondant parfois immigrés et étrangers, les autres criant à une forme de racisme et cherchant à discréditer les chiffres produits par les premiers, non sans avoir leur propre agenda.

The conversation

C'est le cas d'un article intitulé « Pourquoi le lien avec la délinquance est une illusion » de Arnaud Philippe, maître de conférences, à l'école d'économie de l'Université de Bristol et Jérôme Valette économiste au CEPII, paru sur le site Theconversation.com le 21 mai 2023. Cet article entend « démanteler les idées reçues sur les liens qui pourraient exister en immigration et délinquance » selon le chapeau ajouté par le JDD qui le reprenait intégralement au lendemain de sa parution.

À sa lecture j'ai identifié un certain nombre de défauts dans les arguments présentes, qui par leur inefficacité laissent intacte la crédibilité du lien dont les auteurs cherchent à démontrer l'inexistence en le qualifiant d'illusion.

Voici donc ci-dessous les passages significatifs et les commentaires qu'ils m'inspirent.

Une statistique parait-il trompeuse

L'erreur de perception (du public) concernant un lien entre immigration et délinquance proviendrait selon les auteurs des statistiques suivantes et de leur mauvaise interprétation.

« La perception d’un lien entre immigration et délinquance repose principalement sur l’observation d’une surreprésentation des étrangers (immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française) dans les statistiques sur la délinquance. En France, la proportion d’étrangers dans la population totale était, en 2019, de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et à 23 % des individus en prison. »

Immigré n'est pas étranger

Ici on distingue donc déjà les immigrés (qui peuvent être de nationalité française), des étrangers. Les études sur la délinquance mettraient donc en exergue une partie particulière des immigrés, ceux qui sont *aussi* des étrangers. Pourquoi, parce que nous ne comptons pas les immigrés en tant que tels, mais nous avons des statistiques sur les étrangers. Ça ne concerne donc qu'une partie de la population immigrée mais soit, concentrons-nous sur cette population. On aurait donc une sur-représentation de la délinquance des étrangers d'un ordre de deux à trois.

Il faut noter aussi que les auteurs commencent leur propos non pas par « Ce lien résulte de » mais par « La perception d'un lien » ce qui déplace d'emblée le sujet de la réalité du possible lien, à la pertinence de la perception de ce possible lien. En creux, on pourrait dire que c'est une manière de confirmer l'existence de ce lien, que de parler de sa perception mais en fait les auteurs développeront l'idée que c'est une tromperie et qu'il n'y a pas de réalité derrière, sans jamais aller jusqu'à décrire ou qualifier ce qu'est la réalité. Ainsi dans l'article ils tenteront de rendre ce lien imaginaire tant en essayant de décrédibiliser les données statistiques, qu'en expliquant que le lien décrié tient en fait d'une perception erronée. C'est donc une une manière de mener une double attaque contre sa réalité, sur le fond et sur la forme, tout en évitant d'attaquer trop frontalement ce qui permet de se ménager plusieurs angles d'approche.

« De nombreux facteurs, certains quasi mécaniques, peuvent expliquer cette surreprésentation sans que le statut d’immigré ne soit en lui-même lié à une probabilité plus forte de commettre une infraction. »

Première erreur : expliquer une réalité n'est pas la défaire. Si j'explique à ma chère Maman la raison pour laquelle j'ai mangé la moitié du pot de confiture, par exemple en disant que je suis gourmand, que je n'ai pas pu me retenir, ça n'est pas effacer la réalité de la chose, ni ma faute, ni bien entendu la réparer. Elle ne se laissera pas prendre et j'en suis quitte pour une bonne fessée.

Une probabilité de contrôle plus forte

« Tout d’abord, certains délits ne peuvent, par définition, être commis que par des étrangers (soustractions à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, travail sans titre de séjour, etc.) »

Cela ne change rien à l'existence de ces infractions. Au contraire il y a là une certitude que si cette immigration n'avait pas lieu, alors ces infractions ne seraient pas commises. Et ça n'est pas une opération neutre pour le reste de la société : cette délinquance en moins allègerait la charge de la société (police, tribunaux, nécessités administratives.)

« ces infractions sont résolues lorsqu’elles sont constatées puisque l’auteur de l’infraction est identifié sur-le-champ. De ce fait, elles peuvent faire l’objet d’un ciblage particulier lors de pressions politiques à l’amélioration des statistiques, comme lors de la mise en place de la « politique du chiffre » entre 2002 et 2012. »

Une efficacité supérieure (mais hypothétique et non évaluée ici) de la résolution de ces infractions ne fait pas qu'elles n'existent pas. Au contraire, en creux, on comprend bien que seulement une partie de cette délinquance est identifiée et comptabilisée. Les chiffres statistiques produits par (je suppose) le ministère de l'intérieur sont donc en deçà de la vérité. Or, puisque ce sont des infractions qui ne peuvent être commises par des immigrés étrangers (et non par la population générale) cela signifie que en réalité, pour ce type de délinquance, la sur-proportion de délinquance des étrangers par rapport à celle de la mopulation native apparaît moindre que ce qu'elle est. La situation réelle est donc en fait, pire.

« Ensuite, les immigrés présentent des caractéristiques individuelles qui les rendent plus susceptibles d’être en infraction avec la loi.  Les hommes, jeunes, sont ainsi surreprésentés dans la population immigrée, deux caractéristiques systématiquement associées à des niveaux de délinquance plus élevés. »

La première affirmation paraît presque insultante tant elle semble essentialiser les immigrés comme super-délinquants, que cette affirmation. L'explication par la jeunesse et la masculinité arrange à peine les choses, en expliquant pourquoi les immigrés étrangers sont davantage délinquants, mais sans l'effacer pour autant. En effet, on peut parfaitement envisager que si la population immigrée était à parité hommes/femmes et qu'elle observait la même pyramide des âges que celle des indigènes, alors leur délinquance serait identique (ce qui reste hypothétique), mais… ce n'est pas le cas : il se trouve que la population immigrant *est* déséquilibrée. Or il ne s'agit pas de dire que toute personne immigrée étrangère est par nature, essentiellement, par naissance ni par culture, délinquante ; mais d'observer par la statistique que la population immigrante dans son ensemble est davantage délinquante. Une fois de plus, l'argument tombe donc à plat.

« Surtout, les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs. Or, la précarité économique reste un des principaux déterminants de la délinquance. Ce n’est donc pas le fait d’être immigré en soi qui conduit à plus de délinquance, mais des caractéristiques qui, lorsqu’elles se retrouvent chez les natifs, conduisent également à plus de délinquance.»

Même raisonnement biaisé, comme s'il s'agissait de stigmatiser une personne immigrante comme étant essentiellement délinquante : non, ce n'est pas la personne en elle-même qui est visée, mais la personne dans la situation où elle se trouve quand elle a immigré. Bien évidement c'est la situation qui crée la délinquance. La pauvreté, de toute évidence est un facteur. Mais je pourrais rajouter qu'un même individu dans son environnement natif (et éventuellement parmi son entourage amical ou familial), puis déplacé dans l'environnement d'un pays «riche» comme la France n'est pas dans le même contexte et que cela peut aussi tendre à créer un comportements différent car ce même individu est relativement beaucoup plus pauvre en France (et donc potentiellement plus sujet à un comportement illégal) qu'il ne l'aurait été avant son départ.

Personne ne dit que le monde est peuplé de voyous, sauf la France. Le sujet du lien entre immigration et délinquance est de décrire le fait que le déplacement même de populations masculines, jeunes et pauvres sur un territoire tel que celui de la France est en soi générateur d'un acroissement de leur propention à la délinquance. C'est le déplacement qui est en cause, et ce déplacement est inclus dans le mouvement que consiste l'immigration. Ce déplacement et sa conséquence de délinquance est donc intrinsèque à l'immigration.

« Enfin, les immigrés subissent un traitement différencié à toutes les étapes du système pénal : de la probabilité d’arrestation à celle d’être incarcéré. Ainsi, les minorités visibles issues de l’immigration ont une probabilité plus forte d’être contrôlées, mais aussi de recevoir des peines plus lourdes. En moyenne, pour un même délit avec les mêmes antécédents judiciaires, en ayant suivi la même procédure et avec les mêmes caractéristiques individuelles (âge, sexe, lieu et date de jugement), les étrangers ont non seulement une probabilité plus forte (de 5 points de pourcentage) que les Français d’avoir une peine de prison ferme, mais sa durée est également plus longue, de 22 jours.»

L'argument sur la différenciation ne vaut pas mieux que celui de la résolution des affaires. Il est réduit à néant par contraposition : sans immigration, pas de condamnation, CQFD.

On ne peut rien faire de l'information sur les peines de 22 jours plus longs, à défaut de savoir de quelle durée moyenne on parle (22 jours sur 2 ans c'est peu, 22 jour sur 30 c'est beaucoup.) Cette donnée, ni l'information d'une condamnation plus fréquence à une peine de prison, n'apportent quoi que ce soit à sur-représentation de la délinquance. On peut éventuellement déplorer au pire une pointe de xénophobie de la part des tribunaux, au mieux une volonté des juges de tenter de dissuader davantage des gens qui ne sont pas chez eux, de commettre sur notre sol des actes délictueux, mais cela nous fait sortir de notre sujet. Mais que la condamnation soit à 2 mois ou 5 mois, la statistique sur la délinquance reste la même et ces indications n'ont donc aucune pertinence pour notre sujet.

Distortion : une réalité

Je ne fais pas semblant de ne pas comprendre que le caractère spécifique des infractions qui ne peuvent être commises que par les immigrés brouille la comparaison des statistique de leur délinquance par rapport à celle des locaux. La proportion « double » ou « triple » que fait apparaitre la statistique brute est donc biaisée par ces infractions spécifiques : on compare des choses un peu différentes si on ne compare pas la même base d'infractions, il faut par exemple se restreindre aux agressions physiques, et même entrer encore plus dans le détail de certains faits. Mais je ne rentre pas ici dans le détail de ce genre d'analyses : je suis en train d'examiner les arguments sur leur logique.

Ceci dit il ne faut pas oublier pour autant que cette distortion ne crée par des chiffres de délinquance des étrangers artificiels : la délinquance observée est réelle.

Dynamiques locales

« Ce traitement différencié entre immigrés et natifs se retrouve aussi dans les médias. Des recherches ont montré que la presse pouvait renforcer les croyances initiales sur le lien entre immigration et délinquance en reportant plus systématiquement les infractions commises par les immigrés ou en divulguant de manière plus fréquente l’origine des suspects lorsqu’ils sont immigrés. »

On change ici de registre et on s'éloigne des statistiques chiffrées de surreprésentation pour entrer dans le royaume subjectif du ressenti. À partir de la là tout devient flou et la discussion perd de sa crédibilité. On parle de «renforcer des coyances», de «perception d'un lien.» Mais pas sans commettre de nouvelles erreurs dans l'argumentation. Ainsi :

« La perception d’un lien entre immigration et délinquance provient aussi de l’observation par les natifs d’un plus grand nombre d’infractions reportées dans les zones ou les immigrés sont majoritairement installés. Or, pour évaluer l’impact de l’immigration sur la délinquance, il est nécessaire de dépasser cette simple comparaison qui ignore que les immigrés ne se répartissent pas de manière uniforme sur le territoire national. Leur présence est en effet plus concentrée près des frontières, zones plus propices aux trafics, ou dans des quartiers où les logements sont plus abordables et qui concentrent le plus souvent des populations pauvres ou marginalisées. »

C'est le problème de la poule et de l'œuf que les auteurs ne résolvent pas pour nous aider à avoir une vision claire de la causalité, tout en soulignant que l'une des deux options est contestable. Peut-être les immigrés sont-ils davantage attirés par les zones défavorisées ? Peut-être que leur venus tend à aggraver la situation de ces zones, avant que éventuellement ils finissent par les quitter ? Rien de concluant en tous les cas.

« Par exemple, le départ de natifs d’une zone dans laquelle la délinquance et la pauvreté sont en augmentation peut libérer des logements sociaux et attirer de nouveaux immigrés. Immigration et délinquance augmentent alors de concert sans que l’immigration n’en soit la cause.»

Mais une statistique, à la fois locale et sérieuse, qui ne prendrait pas en considération ces évolutions est-elle mise en avant quelque part ? Est-elle présentée comme représentative à l'échelle nationale ? Une telle situation existe-t-elle même au-delà de la supposition théorique de sa possibilité émise dans l'article : aucune ville n'est citée ? Une quelconque réalité se trouve-t-elle pour donner du crédit à cette éventualité ?

« Face à ces difficultés, les recherches en sciences sociales se sont penchées sur la question du lien entre immigration et délinquance en prenant soin d’éliminer les bais précédemment évoqués. La conclusion de ces études est sans appel. L’immigration n’est pas à l’origine d’une augmentation des taux de délinquance.»

Où sont les chiffres ?

Pour éliminer les biais ci-dessus il faudrait donc supposer que la population étrangère immigrée serait identique à celle de la France, même répartition en âge, même partité sexuelle, même richesse, mêmes conditions de vie. Mais dans ces conditions, pourquoi un immigré émigre-t-il ? Pourquoi consent-il à s'arracher de sa famille, de sa culture, de son pays, si c'est pour se retrouver dans un mileu et dans un environnement tout à fait semblables ? Il me semble qu'une telle compromission dans les données de départ ne peut que fausser le résultat en induisant des corrections qui ne font aucun sens. Car bien évidement un émigré émigre *parce que* il est pauvre, et il émigre *bien évidement* (en tous cas dans le cas de la France) vers un pays plus riche que le sien. Gommer ces réalités essentielles au phénomène de migration, c'est fausser totalement l'examen de la question.

La régularisation entraîne une baisse des infractions

On passe ici au niveau supérieur de la logique idéologique de réécriture de la réalité qui précédait.

Avec des «si» on peut mettre Paris en bouteille comme chacun sait.

Précédement on avait donc lu que SI les immigré n'étaient pas, en fait, en situation d'immigration, mais plutôt quelque chose comme des touristes en somme, alors leur population serait différente et ne commettrait pas davantage d'infractions.

À présent on suggère que SI la loi Française n'existait pas (la situation d'immigration illégale étant une conséquence de la loi), alors les infractions seraient moins nombreuses. Et hop, moins d'infractions égale moins de délinquance et les immigrés étrangers se rapprocheraient des statistiques des natifs. J'ajouterais qu'on pourrait même abolir le code civil et le code pénal et hop, tout le monde à zéro, égalité parfaite.

« Au Royaume-Uni, une étude a examiné l’effet de deux vagues migratoires récentes, la première liée aux guerres d’Irak, d’Afghanistan et de Somalie à la fin des années 1997-2002, la seconde, à l’entrée de huit anciens pays de l’Est dans l’Union européenne entre 2004 et 2008. Pour les deux vagues, les localités ayant accueilli plus d’immigrés n’ont pas vu leur taux d’infractions moyen évoluer plus rapidement que dans le reste du pays. »

Mais c'était au Royaume-Uni, et pas en France. Le profil des populations était-il différent ? Le fait que la langue du pays hôté soit l'anglais aurait-il facilité l'intégration des immigrants ? Le fait que le Royaume-Uni soit par sa culture ouverte au communautarisme, peut-être beaucoup plus propice à l'accueil de certaines populations localement, peut-il avoir joué dans cette faible observation d'évolution statistique de la délinquance ? Est-on surs de pouvoir extrapoler à long terme ? D'autres problèmes ne se posent-ils pas dans la société britannique du fait de son morcellement communautariste ?

« En revanche, une légère augmentation des atteintes aux biens a été observée pour la première vague des années 2000. Cette différence provient d’un accès au marché du travail différent : là où les nouveaux citoyens de l’Union européenne avaient le droit d’exercer un emploi, les demandeurs d’asile ne pouvaient pas travailler légalement la première année de leur arrivée sur le sol britannique. »

Une redite des arguments précédents, qu'on peut résumer ainsi : le système du pays d'accueil a tort car SI la loi était différente alors les immigrés ne seraient pas en contravention avec la loi. On comprend que dans l'esprit des autres, les pays hôtes sont fautifs car leurs lois sont inadaptées à la satisfaction des populations immigrées. Ce sont leurs lois (pour ne pas dire leur citoyens, s'agissant de pays dotés de systèmes législatifs parlementaires) qui devraient se plier aux flux d'immigration. Autant donner par avance l'immunité aux immigré étrangers dans ce cas, et adapter les lois ensuite en fonction de leurs faits et gestes.

« Ce constat est confirmé par d’autres travaux. En Italie, un dispositif de décembre 2017 permettait aux immigrés en situation irrégulière de faire une demande de régularisation en ligne. Les permis de travail étaient accordés dans l’ordre des demandes et jusqu’à épuisement de quotas préalablement définis. Avec ce dispositif, des immigrés s’étant connectés au site à quelques minutes, voire à quelques secondes d’intervalle, se sont trouvés dans des situations très différentes : ceux ayant demandé un visa juste avant l’épuisement des quotas ont acquis le droit de travailler et de résider légalement en Italie, tandis que ceux ayant posté leur dossier l’instant d’après sont restés sans-papiers. En comparant ces deux groupes, il apparaît que les immigrés ayant obtenu un visa ont eu une probabilité deux fois plus faible de commettre une infraction au cours de l’année suivante. Une différence qui s’explique entièrement par une baisse significative des infractions générant des revenus, telles que les vols et les trafics. »

Ici encore, la faute c'est le quota, donc la loi. D'après les auteurs, la loi est mauvaise et l'immigrant a tous les droits. S'il contrevient à la loi en devenant illégal et commet ensuite, par son dénuement, des vols et des traffics ça n'est pas sa faute, il doit être absous. Pour corriger cette honteuse statistique on va donc soit supprimer les quotas (quoi qu'en pensent les citoyens) soit «corriger» les statistiques. On constatera alors que l'immigration n'induit plus aucune anomalie parce que c'est assez facile quand le cadre est élastique, d'y faire rentrer n'importe quoi.

On voit à présent se dessiner une idéologie assez nette chez les auteurs : les statistiques sont fausses, parce qu'elles prennent en compte la réalité sans la distordre. Mieux encore, la loi est mauvaise, quand elle ne permet pas une immigration parfaitement libre.

Concluons

Pleinement satisfaits de leur raisonnement, les auteurs concluent brillament.

« Immigration et délinquance ne sont donc pas liées, une fois les raisonnements simplificateurs écartés. Au contraire, si la surreprésentation quasi mécanique des immigrés dans les statistiques peut créer l’illusion d’une relation entre immigration et délinquance, les études rigoureuses montrent qu’il n’en est rien. Des résultats à garder en tête lors des discussions autour de la loi immigration à venir pour traiter le sujet sans passion et au plus près des réalités. »

Intéressant de voir que la perspective de cette conclusion précisément, est une loi immigration à venir. Forts de leur prétendue rigueur, laquelle consiste à corriger la réalité statistique pour la faire correspondre à un idéal fantasmé où la notion même d'immigration perd son sens, les auteurs perdus dans une idéologie qu'ils confondent avec la réalité, finissent par tenter d'imposer leur vision au titre de la raison.

Je ne crois pas qu'un lecteur sérieux puisse se laisser prendre par un discours aussi biaisé, sauf à y consentir à l'avance. Mais que peut-on tirer de tout cela à propos d'un potentiel lien entre immigration et délinquance ? Peut-être totut de même plusieurs choses. Premièrement le fait que ce lien produit par une statistique froide semble plus attaqué par idéologie que par raison, et avec peu de succès, et c'est peut-être qu'il n'est pas si faux que cela. Deuxièmement il faut ne pas oublier de quoi on parle et souligner de les statistiques ne permettent pas de juger les individus : aucun (sauf accident) immigré n'est par essence un délinquant, quand bien même il est probablement dans une situation peu favorable qui peut le pousser à faire des choses répréhensibles. Et ces actes même ne sont pas forcément plus de son goût que du nôtre, quoique les cultures étant différentes (par exemple le rapport à la violence ou au statut des femmes) immigré et natifs n'ont pas forcément les mêmes valeurs en tout, ce qui m'amène au point suivant. Troisièmement que le contexte fait beaucoup du comportement des gens, et qu'il importe de voir que la réalité de l'immigration en France dépend de son histoire et de sa culture (dont font partie nos lois.) Mais c'est en ouvrant les yeux sur les réalités et non sur des bilversée que nous feront le mieux face, pour nous et pour les populations qui pensent trouver mieux ailleurs, en espérant trouver le meilleur terrain d'entente.

La Cimade

La Cimade est une association ouvertement tournée vers l'accueil des imigrés étrangers. Elle affiche ainsi ses missions : « La Cimade a pour but de manifester une solidarité active avec les personnes opprimées et exploitées. Elle défend la dignité et les droits des personnes réfugiées et migrantes, quelles que soient leurs origines, leurs opinions politiques ou leurs convictions. » On pourrait rajouter : quelque soit leur statut (légal ou clandestin.) Au moins on n'a pas une structure qui se prétend parle de manière neutre, et c'est tant mieux quand les choses sont claires.

Sur son site internet, La Cimade pose et traite cette question : Les personnes étrangères sont-elles réellement plus délinquantes ?

Encore des chiffres

Le point de départ ici aussi est une statistique émanant du ministère de l'intérieur :

« Depuis cet été*, le refrain selon lequel il y aurait un lien entre immigration et délinquance revient dans la bouche des responsables politiques. Le ministre de l’Intérieur a ainsi pu déclarer qu’« il y a 7 % d’étrangers dans la population et ils représentent 19 % des actes de délinquance ». Pour sa part, le président de la République estime que “quand on regarde les faits de délinquance à Paris, on ne peut pas ne pas voir que la moitié au moins des faits de délinquance viennent de personnes soit en situation irrégulière, soit en attente de titre”. »

(*) je ne sais pas de l'été de quelle année il s'agit, cela ne figure pas dans l'article

« L’essentiel des discours liant immigration et délinquance sont fondés sur des arguments quantitatifs : hausse des crimes et délits commis par les personnes étrangères, surreprésentation de ces dernières parmi les personnes détenues, etc. Or, en 2018, 549 966 condamnations ont été prononcées par les juridictions pénales, et seules 82 157 d’entre elles concernaient des personnes étrangères, soit 14,9%. Si l’on compare à la part des personnes étrangères parmi la population résidant sur le territoire national (7,5%) en 2018, c’est le double. Il en est de même pour les statistiques concernant l’incarcération. Au 30 septembre 2022, les prisons enfermaient 71 167 personnes : 18 224 d’entre elles étaient étrangères, soit 25,6% de la population détenue. Les personnes étrangères représentent plus d’un quart de la population détenue, sans pour autant représenter un quart de la population présente en France.»

Jusque-là, ça colle parfaitement avec les statistiques précédentes : grosso modo on retrouve un facteur de deux à trois.

L'interprétation de ces chiffres va dans la même direction :

«  Tout cela n’est toutefois pas le signe d’une délinquance accrue de leur part. La surreprésentation des personnes étrangères condamnées et des personnes étrangères incarcérées au regard de leur nombre au sein de la population française, s’explique (ou est biaisée) par trois facteurs au moins : »

Examinons à présent les facteurs en jeu.

Traitements discriminatoires

« Les personnes immigrées (étrangères ou non) sont victimes de traitements discriminatoires : contrôles au faciès qui conduisent à des sur-interpellations, traitements plus sévères par le système judiciaire, ce qui aboutit à une sur-incarcération de cette population »

Les contrôles au faciès semblent être un bon argument pour qui ne s'intéresse pas à la réalité des enquêtes. Il faut déjà distinguer plusieurs types de criminalités pour commencer : le profil de la délinquance financière poursuivie par l'administration des impôts par exemple, ne se fait certainement pas au faciès puisque derrière les écrans des enquêteurs les comptes des entreprises ou des particuliers n'ont pas de couleur de peau. On pourrait alors évoquer un racisme systémique influencé sur les noms et prénoms des déclarants, mais une telle accusation devrait être étayée. Intéressons-nous donc plutôt à la police «de terrain», celle qui vise la criminalité de rue dans laquelle on trouvera plus facilement ce qu'on appelle des contrôles «au faciès». Pour donner un exemple parlant : si la police fait des contrôles dans la ville de Saint-Denis qui compte 70% de population immigrée, il sera difficile pour la police de chercher à respecter une proportionalité de 7% de contrôles de personnes « issues de l'immigration » pour 93% de « blancs », ça n'est pas une distortion injuste à l'égard des immigré mais c'est juste une conséquence de la réalité de la population. Étendons cette compréhension à d'autres quartier difficiles dans lequelles on est susceptible de voir la police tendre à effectuer davantage de contrôles de par le fait que ces quartiers concentrent plus de criminalité de rue que les autres. Il se trouve ici aussi qu'on va trouver une concentration plus forte de population immigrée, pour des raisons qui tiennent à la composition même de ces populations à savoir une relative pauvreté qui les pousse à trouver des logements dans des quartiers défavorisés. Non pas qu'une criminalité n'existe pas dans le « beaux quartiers » mais le traffic ne s'y fait pas en pleine rue (mais plutôt dans les salons ou les soirées) et donc le contrôle de rue n'est est aucunement pertienent. Le contrôle de rue se fait donc davantage dans certains quartiers et par voie de conséquence, sur certaines populations du fait de leur pauvreté, laquelle n'est pas sans lien avec la pauvreté relative à priori des immigré étrangers. Il y a donc bien un lien même au niveau des contrôles de rue plus fréquents, entre immigration et délinquance, même s'il est moins direct ici, et ce n'est ni la discrimination sur la couleur de peau, ni le statut à priori d'immigré étranger de la personne (qui ne peut pas être connu avant que le contrôle soit réalisé) mais sa présence sur un terrain où la délinquance est forte, en partie du fait même de la présence accrue d'une population immigrée.

On pourrait ajouter que les contrôles de rue ne sont, contrairement à certaines idées reçues, pas orientés majoritairement vers les immigrés ni vers les visages «racisés» comme disent certains. Le premier critère pour un contrôle de rue “au pif” (c'est-à-dire un contrôle qui n'est pas directement motivé par le constat d'un délit ou d'un trouble à l'ordre public) c'est le sexe : le fait d'être un homme est le premier critère de contrôle. Et le second critère c'est l'âge : une personne immigrée ayant passé 50 ans ne sera quasiment jamais contrôlée. Ce sont les jeunes hommes, qu'ils soient blancs, noirs ou gris qui sont en priorité ciblés dans les contrôles parce que ce sont eux qui participent en large majorité à la délinquance de rue.

Dernière précision, de source policière : les populations de type africain ou nord-africain représentent 90% de la population répertoriée dans les outils d'identification de la police nationale (le fichier Canonge). Il ne s'agit que de personnes ayant des antécédents. Or seule 50% de la population immigrée étrangère est d'origine africaine ou nord-africaine. Et bien entendu une partie de la population française est noire de peau (il suffit de penser aux territoires d'outre-mer.) On voit donc que la question du contrôle au faciès n'est pas pertinente pour expliquer la sur-représentation des immigrés étrangers dans les chiffres de la délinquance.

Pour ce qui est de la plus grande sévérité des juges envers les immigrés, comme expliqué plus haut elle n'influe pas sur les chiffres de la délinquance puisqu'elle intervient après la comptabilisation des faits. Tout au plus peut-on remarquer qu'une plus grande sévérité (quoique non quantifiée ici) ne permet pas de compenser le rato défavorable aux immigrés par rapports aux locaux.

Les infractions dites spécifiques

« Il existe des infractions qui ne peuvent être commises que par des personnes étrangères, et pour lesquelles on constate des condamnations et des incarcérations quasi systématiques : refus de test PCR, refus de rendez-vous au consulat, refus monter dans l’avion etc. »

J'ai déjà expliqué en quoi cet argument selon lequel certaines infractions ne peuvent être commises que par des étrangers est invalide. Ces infractions sont spécifiques aux étrangers, mais elles n'en sont pas moins réelles. J'ajouterais qu'elles sont liées à la souveraineté du pays qui est libre de fixer les limites qu'il souhaite, et il ne revient pas aux immigrant étrangers de les contester. S'ils le font, ils créent bel et bien de la délinquance et font augmenter la statistique. D'autres étrangers immigrants sont en situation régulière et se comportent correctement par exemple, comme quoi c'est un comportement possible.

Considérez l'exemple d'un homme qui agresse sexuellement une femme qui refusait ses avances. Devant le juge, il se défend en disant que si elle avait consenti, il n'aurait pas eu à la violer et ainsi il n'y aurait pas eu de problème, et donc que c'est la faute de la femme. Que penser de cette défense qui est logiquement cohérente ? La réponse est que la liberté de choix de la femme prime sur le désir de l'homme, qui avait l'obligation morale (et légale) de respecter cette liberté.

La situation est non pas comparable mais similaire : dire que l'infraction n'existe que parce qu'on est étranger revient à dire que la France a tort d'avoir des frontières, et qu'il est donc légitime de les violer. Prétexter que si la France ouvrait ses frontières alors on n'aurait pas à les violer, c'est se donner tous les droits et refuser la liberté de choix des français. Or cette volonté existe, elle se trouve dans la loi, et la violer est bel et bien un acte de délinquance.

Par ailleurs en miroir de cet argument on pourrait alléguer que la criminalité en « col blanc », du fait qu'elle concerne plutôt des « plus riches », distord les chiffres de la délinquance en faveur des immigré étrangers car eux en sont exclus de par leur situation ? On pourrait aussi alléguer que les services des fraudes ont plutôt tendance à punir la délinquance fiscale que la fraude aux prestations sociales qui font très rarement l'objet de poursuites : distortion !

Inégalités socio-territoriales

Continuons :

« La délinquance des personnes immigrées est une délinquance s’expliquant par les inégalités socio-économiques et territoriales : or, parmi ces personnes, beaucoup font partie des catégories socio-économiques les moins favorisées, et c’est par ailleurs la délinquance qui est la plus fortement « recherchée » et réprimée. »

Ici encore expliquer les choses ne permet pas pour autant de les faire disparaître. Et comme dit précédement pour la délinquance en col blanc ou la lutte contre différents types de fraudes, il est très contestable de dire que la délinquance des catégories socio-économiques les moins favorisées serait la plus recherchée, au point de fausser les chiffres. En particulier, l'administration des impôts fait un gros travail de recouvrement de la fraude fiscale, mais c'est très loin d'être le cas en ce qui concerne la fraude aux prestations sociales.

et tournant politique

« C’est donc l’arbre qui cache la forêt : s’attaquer à l’immigration pour réduire la délinquance semble donc infondé, et c’est davantage une lutte contre les inégalités sociales et territoriales qui permettrait de diminuer les actes de délinquance. A défaut, l’on ne fait que créer une prophétie autoréalisatrice, sans même parler de la polarisation des tensions que de tels discours entraînent. »

On bascule ici dans un discours militant et politique. La preuve de l'efficacité de ces recommandations reste à apporter. Il n'est pas dit qu'un trafiquant d'herbe issu de l'immigration gagne mieux et plus facilement sa vie en abandonnant son activité pour un emploi légal. Il est tout à fait possible qu'un voleur à l'arrachée préfère effectivement trouver un emploi au SMIC si cela était possible. Reste pour le déterminer à faire un travail d'enquête sérieux, plutôt que d'afficher en ligne sa confiance bienveillante en la nature humaine.

La conclusion de La Cimade en tous cas, ne nous aide pas à démêler objectivement le vrai du faux quand à l'existence d'un lien entre immigration et délinquance. Pourtant derrière l'évidence formulée dans son souhait de lutter contre les inégalités pour faire diminuer la délinquance se cache encore une confirmation du lien que nous étudions. Puisque plus d'immigration signifie plus de pauvreté, et que plus de pauvreté signifie plus d'inégalités, et que plus d'inégalités implique plus de délinquance, aussi indirect soit-il, le lien est bel et bien confirmé.

Radio France etc.

J'aurais pu décortiquer aussi l'article paru sur le site Euractiv.fr le 8 mai 2024. Mais lisez-le let vous comprendrez que cela n'apporterait rien, car cet article reproduit en fait les mêmes arguments, rappelle les mêmes chiffres, donne les mêmes citations et cite les mêmes études.

Il en va de même pour la chronique de Clément Viktorovitch sur FranceInfo le 18 juin 2023. Mais encore : Le Monde du 21 avril 2023, le Musée de l'histoire et de l'immigration en 2022, le site de l'AFP le 3 mai 2024 ou encore ce lui de l'association Désinfox-Migrations en 2022 probablement. J'en passe, bien entendu.

Cet essaim d'articles présente deux catactéristiques assez problématiques. D'une part il ne font que reproduire une quantité d'arguments extrêment faible en terme de diversité, en les agrémentant plus ou moins d'anecdotes illustratives. En en lisant deux ou trois, on a fait en réalité le tour de l'intégralité d'une thèse qui visiblement, tend toujours à disqualifier absolument l'idée d'un lien entre immigration et délinquance. On peut même observer des similitudes troublantes dans les termes et dans la structure des articles. C'est à se demander si tous les journalistes se copient systématiquement les uns les autres… Ou si il n'y aurait pas une seule et unique source que tous les autres n'auraient que paraphrasé.

Deuxième caractéristique troublante : cet effort fortement redondant, est totalement orienté : à aucun moment dans ces articles la possibilité de la réalité de ce lien n'est envisagée comme une piste pouvant être sérieuse. La thèse ne souffre aucune antithèse, ce qu'on aurait pu attendre de journalistes neutres ou de scientifiques. Au contraire, seuls des arguments univoques sont développés, avec une technique de démonstration similaire, et des tentatives manipulations évidentes.

Une telle convergence de contenus, de telles similarités de méthode, provenant de sources aussi disparates, interroge.