Plus rien ne m'étonne

Réf : Tiken Jah Fakoly (de son vrai nom Doumbia Moussa Fakoly), album du même nom, sorti en 2004 chez Universal Music.

https://www.paroles.net/tiken-jah-fakoly/paroles-plus-rien-ne-m-etonne

Comme promis* j'ai relu les paroles de cette déplorable complainte.

La première partie cite plusieurs pays en asie occidentale, afrique et moyen-orient mais l'idée d'un partage du monde par « ils » (les occidentaux pris comme un tout, je suppose) ne fait pas de doute et la référence à un tel « partage » constitue à la fois une contre-vérité historique et une escroquerie victimaire. Rien en dehors de ces zones ne semble intéresser l'auteur : tout le reste de l'asie ainsi que les continents américain et australien sont oubliés, témoignant d'une indignation à géométrie variable et plutôt ciblée. Partager « le monde » semble donc plus un slogan que le reflet d'une réalité, et les premiers paragraphes tellement sommaires et approximatifs qu'ils ne servent manifestement qu'à affirmer une culpabilité universelle des occidentaux, tandis que le véritable objet de la chanson, l'afrique, est gardé en réserve et ne sera abordé, avec un peu plus de détail (si on peut dire), que dans le dernier couplet. Allons-y.

« Ils ont partagé Africa sans nous consulter » est sans doute possible une référence à la conférence de Berlin de 1884. C'est donc bien l'afrique (et non le monde) qui intéresse M. Fakoly et sur ce point on peut lui donner raison en ce qui concerne le « partage. » Cependant les empires (sic) cités ; Mandingues, Wolofs, Soussou, Mossi, sont tous des royaumes conquérants qui ne se sont pas privés d'accaparer des territoires sans « consulter » leurs occupants. Que reproche-t-on alors aux occidentaux : simplement d'avoir été plus forts ? Ou bien d'être « ils » et pas « nous » ? Tandis que les européens croyaient bêtement avoir affaire à, et même avoir un devoir envers des « races inférieures » qu'ils colonisaient, ces royaumes africains étaient eux dans une logique différente puisqu'ils savaient parfaitement que c'étaient des semblables qu'ils massacraient ou réduisaient en esclavage à leur service ou pour en faire… la traite (orientale ou atlantique.) Or c'est la colonisation (réglée par le partage de 1884) qui bien souvent a seule permis de mettre un terme à ces pratiques esclavagistes intra-africaines, ce qui ne sert pas le propos accusateur de M. Fakoly.

Finalement le véritable grief que l'auteur fait aux européens est peut-être d'avoir sabordé le business de la traite dont ses ancêtres malinkés profitaient, mais curieusement ça n'est pas très explicite dans le texte. De plus l'emploi d'un « ils » accusateur est une paresse bien pratique pour accuser lâchement sans s'exposer à trop de contradiction de la part des intéressés, ou à un procès en incitation à la haine (par exemple.) Sans m'étendre sur l'affligeante pauvreté du texte (Monsieur Fakoly est pourtant fait Chevalier de l'ordre de l'art et des lettres en 2004 et Officier en 2014) je ne trouve pas grand-chose à sauver dans cette chanson, qui me semble surtout être l'exploitation fallacieuse d'une histoire tronquée et du malheur de certains, au moyen d'une victimisation (qui séduira donc quantité de bien-pensants) abusive, partiale, simpliste et insincère ; tout ça dans une optique commerciale.

(*) à une amie chère